La Vestale sanctifiée
I
Andopal
C'est une femme belle et de riche encolure,
Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.
Les griffes de l'amour, les poisons du tripot,
Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau.
Elle rit à la Mort et nargue la Débauche.
(Charles Baudelaire)
Pour l'ambiance musicale, c'est ici
Elle courait, comme si le sol se dérobait sous la pression de ses pas. Le gardien avait échoué, indéniablement. Elle s'était pourtant attachée à lui, mais il avait échoué. Elle allait perdre une vie et quitter ce monde qu'elle avait presque sauvé. Elle était la vierge consacrée, créée pour faire persévérer la lumière dans les endroits les plus obscurs. Elle était née avec ce destin, c'était inscrit dans les lignes luminescentes de la fatalité. Andopal devait sombrer cette nuit là, lui aussi, et entraîner sa mort à elle. Sa robe bleue finement brodée volait dans l'air déjà lourd, sinistres claquements du tissu. Si légère... Se souviendra-t-elle ? De lui ? De ce qu'il lui faudra faire pour être elle-même ? Aura-t-elle tout oublié, jusqu'au sens du mot "vertu" ?
Élevée parmi les prêtresse de Sélune, consacrée à la chasteté et à l'innocence les plus pures, bercée de rêves candides et de songes incertains, elle était devenue la Vierge Consacrée. La missionnaire de l'ordre mystérieux parmi les univers disparates. Elle n'était ni archange, ni trône, ni même chérubin ou séraphin. Elle était la dernière enfant du peuple des hommes-chats d'Arnolite, ce pays au passé glorieux et aux mythes fameux. Elle disposait des neufs vies sacrées. Elle allait en perdre une, qu'importe. Elle ferait bon usage des autres.
Elle avait ce don si rare de pouvoir guérir tous les maux. Sa douce présence était apaisante et ses mains miraculeuses : nulle plaie, nul chagrin ne pouvait lui résister. Mais le vice était partout dans le c½ur des autres et s'incarnait dans les êtres bien plus souvent que ne le faisait la vertu. Qui avait triomphé ? Elle ne saurait le dire. Elle mourrait en martyre, comme les vierges consacrées précédentes. Mais elle, parce qu'elle était du peuple des hommes-chats, elle renaîtrait ailleurs, avec en elle cette étrange candeur, cette innocence déroutante. Ces deux armes si redoutables parce que nul ne les craint.
Le vide fut devant à ses pieds, la seule issue, la falaise. Derrière, elle entendait déjà leurs cris furieux. Sans hésiter un instant, souriant paisiblement, elle fit glisser la longue robe bleu nuit aux mille volants, le long de son corps. Puis, nue, plus belle que jamais, elle s'élança dans le vide, d'un saut léger et gracieux.
Une vie de perdue.
Leurs mains s'effleurent, leurs peaux se frôlent. Il l'enlace, la pressant contre lui. Leurs cheveux se mêlent, leurs parfums s'entrelacent.
"Nérissa... Je..."
Elle presse son doigt sur sa bouche, lui intimant de se taire.
La hache sombra sur la nuque de celui qui était agenouillé, sa face angélique reposant sur le billot. Elle vit l'éclat pourpre du sang qui gicla, lugubre fontaine. Dissimulée dans l'ombre de sa cape de bure, elle comprit qu'elle n'avait pas le choix : c'était son tour.
"Moi aussi, je t'aime, Andopal..."
Elle l'embrasse, longuement. Ils sont seuls au monde, à cet instant.
(Illustration : lespatulaqueen)
I
Andopal
C'est une femme belle et de riche encolure,
Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.
Les griffes de l'amour, les poisons du tripot,
Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau.
Elle rit à la Mort et nargue la Débauche.
(Charles Baudelaire)
Pour l'ambiance musicale, c'est ici
Elle courait, comme si le sol se dérobait sous la pression de ses pas. Le gardien avait échoué, indéniablement. Elle s'était pourtant attachée à lui, mais il avait échoué. Elle allait perdre une vie et quitter ce monde qu'elle avait presque sauvé. Elle était la vierge consacrée, créée pour faire persévérer la lumière dans les endroits les plus obscurs. Elle était née avec ce destin, c'était inscrit dans les lignes luminescentes de la fatalité. Andopal devait sombrer cette nuit là, lui aussi, et entraîner sa mort à elle. Sa robe bleue finement brodée volait dans l'air déjà lourd, sinistres claquements du tissu. Si légère... Se souviendra-t-elle ? De lui ? De ce qu'il lui faudra faire pour être elle-même ? Aura-t-elle tout oublié, jusqu'au sens du mot "vertu" ?
Élevée parmi les prêtresse de Sélune, consacrée à la chasteté et à l'innocence les plus pures, bercée de rêves candides et de songes incertains, elle était devenue la Vierge Consacrée. La missionnaire de l'ordre mystérieux parmi les univers disparates. Elle n'était ni archange, ni trône, ni même chérubin ou séraphin. Elle était la dernière enfant du peuple des hommes-chats d'Arnolite, ce pays au passé glorieux et aux mythes fameux. Elle disposait des neufs vies sacrées. Elle allait en perdre une, qu'importe. Elle ferait bon usage des autres.
Elle avait ce don si rare de pouvoir guérir tous les maux. Sa douce présence était apaisante et ses mains miraculeuses : nulle plaie, nul chagrin ne pouvait lui résister. Mais le vice était partout dans le c½ur des autres et s'incarnait dans les êtres bien plus souvent que ne le faisait la vertu. Qui avait triomphé ? Elle ne saurait le dire. Elle mourrait en martyre, comme les vierges consacrées précédentes. Mais elle, parce qu'elle était du peuple des hommes-chats, elle renaîtrait ailleurs, avec en elle cette étrange candeur, cette innocence déroutante. Ces deux armes si redoutables parce que nul ne les craint.
Le vide fut devant à ses pieds, la seule issue, la falaise. Derrière, elle entendait déjà leurs cris furieux. Sans hésiter un instant, souriant paisiblement, elle fit glisser la longue robe bleu nuit aux mille volants, le long de son corps. Puis, nue, plus belle que jamais, elle s'élança dans le vide, d'un saut léger et gracieux.
Une vie de perdue.
Leurs mains s'effleurent, leurs peaux se frôlent. Il l'enlace, la pressant contre lui. Leurs cheveux se mêlent, leurs parfums s'entrelacent.
"Nérissa... Je..."
Elle presse son doigt sur sa bouche, lui intimant de se taire.
La hache sombra sur la nuque de celui qui était agenouillé, sa face angélique reposant sur le billot. Elle vit l'éclat pourpre du sang qui gicla, lugubre fontaine. Dissimulée dans l'ombre de sa cape de bure, elle comprit qu'elle n'avait pas le choix : c'était son tour.
"Moi aussi, je t'aime, Andopal..."
Elle l'embrasse, longuement. Ils sont seuls au monde, à cet instant.
(Illustration : lespatulaqueen)
6Alex6, Posté le mardi 16 février 2016 10:34
j'adore